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Regards sur soi, regards des autres : vieillesses et vieillissements à l’épreuve de l’identité

COLLOQUE

Regards sur soi, regards des autres : vieillesses et vieillissements à l’épreuve de l’identité

9 mai 2017, ACFAS, Université McGill

Le colloque met en lumière les travaux de l’axe de recherche 1 de l’équipe de recherche VIES et s’est tenu dans le cadre du 85e Congrès de l’ACFAS.

Chercheures responsables : 

Isabelle Wallach, Université du Québec à Montréal

Isabelle Van Pevenage, Centre de recherche et d’expertise en gérontologie sociale

Présentation du colloque : 

Produits du regard posé sur soi, mais également des regards des autres posés sur soi, la vieillesse et le vieillissement sont des constructions sociales qui se situent à la croisée de l’expérience individuelle et sociale. Dans un mouvement de balancier, les individus non seulement intériorisent ces représentations sociales, mais participent également à leur reproduction.

Les deux axes qui seront explorés dans ce colloque correspondent aux deux oscillations du balancier. Le premier concerne la manière dont les identités des personnes âgées se construisent en lien avec les normes et valeurs contemporaines. Si de nombreuses personnes âgées intériorisent des constructions sociales âgistes de la vieillesse et du vieillissement, d’autres luttent ou résistent concrètement ou symboliquement contre l’influence de ces stéréotypes. Ces formes d’intériorisation ou de résistance seront explorées afin de dresser un portrait de la diversité des expériences liées au vieillissement. Le souci de documenter le rapport aux constructions sociales du vieillissement des populations âgées minoritaires (immigrants, itinérants, minorités sexuelles…) sera également au cœur de ce premier axe.

 Le deuxième axe s’intéresse aux diverses constructions collectives de la vieillesse et du vieillissement. Les stéréotypes oscillent généralement entre deux visions contrastées : d’un côté, nous retrouvons une vieillesse « active », un vieillissement réussi, ce dernier visant la préservation de la jeunesse. Il s’agit du « troisième âge ». De l’autre côté, il s’agit d’une vieillesse malade, dépendante, fragile, emblématique du « quatrième âge » ou des personnes très âgées. Ce deuxième axe se propose d’examiner les conceptions collectives de la vieillesse reflétant ces stéréotypes mais aussi celles pouvant constituer des alternatives à cette catégorisation binaire. Il tentera aussi de questionner les effets concrets de cette construction dichotomique, tant au niveau individuel qu’institutionnel et politique.

Résumé des communications

 

PREMIÈRE PARTIE

Intériorisation, négociation et distanciation des constructions sociales du vieillissement et de la vieillesse

Mot d’ouverture : De l’exclusion à la reconnaissance. L’itinéraire d’une réflexion théorique en équipe

Véronique Billette (Équipe de recherche VIES)

Remise en couple après 60 ans : entre vécus et renouveaux (Chloé Dauphinais)

Chloé Dauphinais (Centre de recherche de Montréal sur les inégalités sociales et les discriminations)

La diversification des modèles conjugaux et les mutations survenues à l’intérieur du couple ont suscité l’intérêt des sociologues, mais en se focalisant sur les jeunes adultes. Cette diversification est pourtant présente dans la population plus âgée où l’on observe notamment une augmentation de l’union libre ainsi que des séparations et des divorces. Les relations intimes dans la vieillesse font l’objet de préjugés âgistes, particulièrement en ce qui a trait au désir et à la sexualité. Ces représentations peuvent avoir des conséquences sur la perception qu’ont les individus d’eux-mêmes. Néanmoins, de nouvelles représentations seraient aussi apparues en lien avec l’allongement de la vie.  Désormais le temps de la retraite se verrait repensé comme une période d’accomplissement de soi. Cela aurait accru l’éventail des possibles, dont ceux de la vie amoureuse. Les amours naissant aux âges avancés seraient aujourd’hui concevables, voire désirées, mais comment est-ce que cela se déploie au sein des existences ? Les structurations et normes sociales ont un effet sur les opportunités et contraintes qu’offrent les trajectoires individuelles, or comment celles-ci marquent-elles les expériences de la remise en couple qui a cours plus tard dans le parcours de vie ? Quels sens les partenaires donnent-ils à leur union ? Lors de cette communication, j’aimerais explorer ces questionnements en me basant sur les analyses préliminaires d’entretiens menés dans le cadre de mon projet de mémoire.

Être vieille et belle? Regards croisés de femmes âgées hétérosexuelles et homosexuelles sur les normes de beauté féminines et sur leur propre corps vieillissant (Isabelle Wallach et Julie Beauchamp)

Isabelle Wallach (UQAM), Julie Beauchamp (Université Laval)

L’idéal corporel féminin axé sur la jeunesse qui prédomine dans notre société véhicule des normes de beauté âgistes et exerce une nouvelle pression sur les femmes âgées. Alors que celles-ci se sont longtemps vues dénigrer tout droit à la beauté et à l’attractivité, elles se trouvent à présent soumises à une nouvelle injonction de conserver un corps jeune, beau et séduisant, sous l’influence de l’idéologie du bien-vieillir. Les questions qui se posent sont celles de savoir si les femmes âgées perçoivent l’existence de ces nouvelles normes de beauté âgistes, si elles les influencent, et comment elles se situent par rapport à ces normes. Notre étude se propose ainsi d’explorer les interactions entre les perceptions de femmes âgées de leurs propres corps et ce nouveau stéréotype de la femme âgée éternellement jeune et belle. Basée sur une méthodologie qualitative, cette étude réalisée auprès de 25 femmes hétérosexuelles et homosexuelles âgées de 64 ans à 82 ans se fonde sur des entrevues qualitatives individuelles, analysées selon une approche thématique. Cette présentation permettra d’explorer plusieurs thèmes tels que les perceptions de ces femmes âgées de leur beauté et de leur attractivité, la façon dont ces perceptions reflètent ou se démarquent des normes de beauté âgistes, leurs perceptions de ces normes et leurs attitudes face aux pressions de correspondre à ce nouvel idéal du corps féminin âgé.

Comment les aînés gais et lesbiennes se positionnent-ils relativement aux constructions sociales du vieillissement et de la vieillesse? (Julie Beauchamp et al.)

Julie Beauchamp (Université Laval), Line Chamberland (UQAM), Hélène Carbonneau (UQTR)

Le rapport au vieillissement des personnes se construit à travers les normes et les discours sociaux sur le vieillissement et la vieillesse qui façonnent ainsi les significations associées à l’identité de « personne âgée » ou au « devenir vieux » (Balard, 2011; Caradec, 2012; Wallach, 2012). Les résultats qui seront présentés s’appuient sur des entrevues semi-dirigées réalisées auprès de 22 adultes vieillissants gais et lesbiennes de 60 ans et plus. Il ressort de l’analyse que même si certains des participants s’identifient comme personne âgée, les propos d’autres participants témoignent d’une forme d’interrogation, de redéfinition ou d’un rejet de cette identité. La communication s’intéressera également aux articulations entre les différents positionnements des participants relativement à la construction identitaire associée au vieillissement et à la vieillesse en lien avec leurs perceptions des personnes vieillissantes au sein de la communauté LGBT.

Démence sévère en CHSLD : quels possibles pour le maintien de l’identité individuelle? (Maryse Soulières)

Maryse Soulieres (Université de Montréal)

Les personnes âgées atteintes d’une forme de démence (Alzheimer ou autre) apparaissent particulièrement vulnérables à l’effritement de leur identité, une vulnérabilité qui s’accentue avec la progression de la maladie. Les représentations véhiculées dans le discours profane sont d’ailleurs éloquentes quant au risque de dépersonnalisation et de déshumanisation qui accompagnent les derniers stades de cette condition : « la mort qui laisse le corps derrière », « la mort sans cadavre ». Cette communication s’intéresse à la réalité des personnes âgées atteintes de démence sévère qui demeurent en Centres d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD). Comment aborder le maintien de l’identité individuelle de ces personnes, qui présentent une dépendance totale pour tous les soins de base ainsi qu’une incapacité à communiquer verbalement ? La présentation s’appuie sur les travaux de doctorat de l’auteure, qui vise à saisir la réalité quotidienne de ces résidents à travers une démarche ethnographique d’observation participante. L’identité des participants y est abordée à travers le prisme du concept de « personhood », qui englobe les notions de « statut » de personne à part entière, « d’identité individuelle » et d’approche d’intervention personnalisée. À partir d’observations concrètes, la présentation permettra de discuter des immenses difficultés rencontrées, mais aussi des efforts déployés par les proches et les membres du personnel pour maintenir l’identité de ces personnes.

Des identités entrecroisées à un âge avancé : l’impact de l’immigration sur les expériences du vieillissement (Shari Brotman et al.)

Shari Brotman (Université McGill), Ilyan Ferrer (University of Calgary), Sharon Koehn (Simon Fraser University), Melissa Badger (Alzheimer Society of B.C.), Kaylee Sohng (Université McGill), Neville Li (Simon Fraser University)

Les aînés immigrants sont plus enclins à être désavantagés en raison des effets au long cours des intersections de la discrimination économique et sociale qui s’enracinent dans la racisation et l’âgisme. Pourtant, la recherche et la pratique gérontologiques ne reconnaissent pas l’impact des multiples marginalisations sur la formation des identités. Cette communication présente les résultats d’un projet basé sur l’approche narrative et le photovoice et s’appuyant sur des entrevues réalisées avec 19 adultes âgés immigrants en Colombie-Britannique et au Québec. Les participants ont été sélectionnés afin de représenter une diversité maximale en termes de croisement d’axes identitaires mais tous vivaient une certaine forme de marginalisation. Privilégiant une approche de parcours de vie de type critique, la présente étude explore comment les parcours individuels sont influencés par les structures plus larges telles que la société, les institutions et l’histoire. Quant aux photos, elles reflètent les significations attribuées aux expériences quotidiennes de la vie à un âge avancé. Cette étude remet en question les présupposés selon lesquels les aînés immigrants forment un groupe homogène isolé, dépendant et dont les identités sont principalement reliées au passé et/ou au pays d’origine. Notre étude rappelle ainsi que les immigrants âgés sont extrêmement hétérogènes et résilients, s’engageant comme des agents actifs de leur propre vie au côté de leurs familles et de leur communauté.

DEUXIÈME PARTIE

Constructions sociales du vieillissement et de la vieillesse, et répercussions sur les individus et les institutions

Ce que l’on dit et ce que l’on tait au sujet de la mort dans les résidences pour personnes âgées (Valérie Bourgeois-Guérin et Jeanne Lachance)

Valérie Bourgeois-Guérin (UQAM), Jeanne Lachance (UQAM)

La résidence pour personnes âgées incarne souvent le dernier milieu de vie, le dernier chez-soi. Elle est un milieu de vie, certes, mais où la mort survient régulièrement. Or, malgré sa fréquence, très peu d’études se penchent sur l’expérience du deuil et du mourir en résidence pour personnes âgées. La question que nous poserons dans le cadre de cette conférence est : quelle est la place accordée à la parole et aux discours sur la mort et sur le deuil dans les résidences pour aînés ? Afin de répondre à cette question, nous nous fonderons sur les témoignages de 26 personnes âgées qui ont vécu un deuil alors qu’elles habitaient en résidence pour personnes âgées. Ces témoignages ont été recueillis dans le cadre d’une recherche qualitative portant sur le deuil des personnes âgées habitant en résidence. Nous effectuerons ici une réflexion sur la parole et le silence entourant la mort et le deuil dans les résidences pour personnes âgées à la lumière des témoignages recueillis. Plus précisément, nous aborderons différentes sources et ramifications du silence entourant la mort et le deuil, ses liens avec le tabou de la mort et les visions souvent polarisées du vieillissement (vieillissement réussi versus vieillissement dégénérescence). Nous explorerons ensuite les impacts possibles de ce silence et des discours portant sur la mort et le deuil dans les résidences pour personnes âgées, sur leur vision de la mort et de leur propre finitude.

Essentielles, mais invisibles : regards d’intervenants sur les personnes qui accompagnent un conjoint âgé en soins palliatifs à domicile (Isabelle Van Pevenage et al.)

Isabelle Van Pevenage (CREGÉS – Centre de recherche et d’expertise en gérontologie sociale), Laurence Hamel-Roy (Université de Montréal), Patrick Durivage (CSSS Cavendish)

Le vécu des conjoint.e.s de personnes âgées en fin de vie à domicile est encore peu documenté. Or, nous savons que cette période peut être particulièrement éprouvante pour les proches, l’annonce d’un pronostic réservé, et donc d’une fin de vie à venir, constituant un tournant pour le couple. Qui plus est, sans la présence et l’engagement concret des proches, « mourir chez soi » s’avère impossible. Pour mieux comprendre le quotidien de ces proches, nous avons tenu des focus groups avec différents types d’intervenants et bénévoles qui œuvrent auprès des personnes âgées en soins palliatifs à domicile – ceux-ci constituant d’importants témoins de la réalité qui se déroule au domicile des personnes mourantes, à l’abri des regards. Ces focus groups nous ont permis de documenter à la fois les interventions qui concernent plus particulièrement les conjoint.e.s de personnes âgées en soins palliatifs à domicile, mais aussi les perceptions et attentes entretenues à l’égard des proches dans ce contexte particulier. Dans le cadre de cette présentation, nous nous intéresserons plus particulièrement à la perception de la trajectoire de vieillissement et de décès par les intervenant.e.s et bénévoles. Comment cette trajectoire est-elle perçue par les intervenant.e.s? Comment leurs interventions sont-elles guidées par ces représentations et quels en sont les impacts sur les proches? Quels sont les enjeux auxquelles les professionnel.le.s et bénévoles sont confronté.e.s dans leur pratique?

Eux et nous : regard interactionniste sur la stigmatisation des personnes ayant des incapacités dans une organisation d’aînés (Emilie Raymond)

Emilie Raymond (Université Laval)

L’inclusion dans l’espace public des aînés ayant des incapacités est un enjeu crucial puisqu’ils sont souvent à la marge des possibilités de participation sociale. Leur accès aux milieux participatifs est restreint pour des facteurs d’ordre environnemental, organisationnel et relationnel. Cette réalité fait écho aux discours valorisant un vieillissement actif et en « bonne santé », dans lesquels les aînés ayant des incapacités se sentent à l’étroit. Ils sont tenus pour responsables de leurs limitations et relégués à une rhétorique de vulnérabilité. Pourtant, plusieurs souhaitent maintenir des engagements significatifs moyennant des accommodements. Nous présenterons une recherche-action participative menée depuis 2014 dans un organisme de loisirs pour aînés dont l’objectif est d’accompagner l’implantation d’une politique d’inclusion des aînés ayant des incapacités. Les résultats sont issus d’entretiens individuels, de groupes de discussion et d’observations menés à différents moments de la recherche. L’analyse utilisera une approche interactionniste basée sur le concept de stigmate. Par là, nous chercherons à mieux comprendre les discours et les rapports de pouvoir entourant les processus de stigmatisation et de discrimination des personnes ayant des incapacités dans une organisation d’aînés. Nous esquisserons des pistes d’action pour déconstruire les dynamiques de mise à l’écart, un défi qui exige une intervention sur les causes profondes du stigmate.

Vieux, personnes âgées, aînés : du pareil au même? (J. Ignace Olazabal)

J. Ignace Olazabal (Université de Montréal)

Au Québec, le terme utilisé pour désigner les personnes ayant 65 ans et plus est celui d’aîné. Terme générique, il se substitue à ceux de personne du troisième âge, de retraité et, surtout, de vieux (et de vieille). Or aîné a une signification précise au sens anthropologique du terme, et désigne ces personnes âgées dans les sociétés traditionnelles qui, par l’expérience acquise au long d’une vie, ont un bagage d’enseignement indispensable pour les plus jeunes, alors que la mémoire des aînés remplaçait les savoirs consignés par les documents écrits. La transmission des savoirs et de la mémoire collective avait pour but de maintenir les sociétés aussi invariées que possible de génération en génération en les préservant du changement social. Ici passé, présent et avenir forment un ensemble circulaire. Les sociétés hypermodernes tendent pour leur part à regarder vers le futur, et non vers le passé, le savoir des plus vieux étant considéré comme trop ancien, déphasé, pour être digne d’être transmissible. Or une société qui regarde vers le futur, jamais vers le passé, est une société qui par définition n’accorde que peu de valeur au savoir des plus vieux. Il est donc légitime de se demander si le terme aîné ne sert pas, pour l’heure, à se donner bonne conscience dans un type de société qui n’aime pas trop la vieillesse.

Les « problématisations » du vieillissement (Patrik Marier et Isabelle Van Pevenage)

Patrik Marier (Université Concordia), Isabelle Van Pevenage (CREGÉS – Centre de recherche et d’expertise en gérontologie sociale)

Dans tout débat de politiques publiques, plusieurs perceptions et constructions sociales des problèmes alimentent les débats. Les causes attribuées à ces problèmes et solutions proposées sont rarement consensuelles. Le vieillissement de la population n’échappe pas à cette réalité puisqu’il fait l’objet de différentes constructions politiques et de différentes perspectives de « problématisations ». Lors de cette communication, trois des plus importantes perspectives seront présentées et comparées. La perspective intergénérationnelle conçoit le vieillissement de la population comme étant un nouveau conflit de classe entre groupes d’âge. Selon la vision biomédicale du vieillissement, ce dernier est conçu comme étant une pathologie que la médecine doit prendre en charge. En opposition avec cette approche, la perspective de la gérontologie sociale considère que le vieillissement de la population est d’abord et avant tout une question sociale. En s’appuyant sur l’exemple des aides informelles aux personnes âgées dans le contexte canadien, cette communication présentera également une comparaison des trois perspectives, en se focalisant sur les origines disciplinaires de ces conceptions, leur prévalence dans diverses organisations, ainsi que leurs forces et faiblesses.